Benjamin Yobouet

24 heures pour briller

Les rayons ardents en plein cœur de cet été me tiraient de mon lit. Un coup rapide à mon réveil : il était onze heures du matin. Je sortis comme une étoile, pris la direction de la douche pour un bain à la marocaine. Je devais être chez ma grande cousine pour une réunion familiale.

Comme à l’accoutumée, les stations de métro ne se désemplissent jamais. Après quelques minutes d’attente, je m’engouffrai avec empressement dans le métro. Coïncidence : j’étais le seul noir dans le métro. J’étais si fier d’arborer cette couleur ébène dont la nature m’avait fait grâce dès la naissance.

Rencontre avec Catherine la benguiste à château rouge

Je décidai de me ravitailler un peu en provisions avant de me rendre à la réunion familiale. Une réunion qui, très souvent, n’avait point d’heure fixe pour la clôture. Dans l’objectif de trouver, en premier, quelques boules d’attiéké, je rencontrai avec grande surprise Catherine une amie benguiste du Cameroun.

Si la joie de la voir en plein « château rouge » (marché africain à Paris) m’envahissait, l’allure de son style vestimentaire retint mon attention. Dans cette chaleur qui nous tétanisait la peau, elle avait la tête voilée telle une musulmane. Une curiosité qui brûlait mes lèvres et cette envie de lui poser des questions pour étancher ma soif. Les salutations d’usage terminées, je demandai à Catherine l’objet de sa présence ici.

Station sortie de métro sur le marché africain"chateau rouge" Paris.
Station sortie de métro sur le marché africain »chateau rouge » Paris. CC : commons.wikimedia.org

Pour réponse, elle me confia être en quête de choses de la gente féminine. Après quelques hésitations, je lui demandai s’il elle s’était convertie à l’Islam. Avec un sourire en coin, elle me répondit par la négation sans oublier de mentionner que j’étais un peu trop curieux avant de poursuivre en ces termes :

-Mon frère, si tu vois ce voile noir sur moi dans cette chaleur, ce n’est pas pour le fait d’une conversion à l’islam, qui d’ailleurs, est une religion que je respecte. C’est simplement que j’ai utilisé une pommade venue du pays qui m’a brûlée une partie du visage. Je suis venue ici justement pour trouver une solution.

« 24h pour briller », la pommade pour éclaicir la peau

Une pommade qui brule une peau ? Non, je me devais d’en savoir davantage afin de prévenir certains de mes proches, dans un monde où le cancer sur toutes ses formes fait ravages.

-Je peux savoir le nom de la pommade pour que mon amie l’évite ?
-« 24h pour briller », c’est le nom de la pommade. Mais j’ai aussi ajouté une l’huile éclaircissante afin d’accélérer le processus de mon éclaircissement. Tu sais parfois les pommades éclaircissantes sans huile ne valent rien.
– Mais Catherine, tu as une très belle peau noire pourquoi la troquer en « clair » ou blanche?

-Mon cher, ne me provoques pas ce midi. Tu dis belle peau noire ? Je suis fatiguée des regards dans ma classe où je suis la seule noire. Fatiguée des regards de mépris comme si le fait d’être noir était un péché.
-Je vois comment l’on se comporte avec les filles métisses ou claires. Elles sont plus acceptées et s’intègrent facilement dans la société. Je suis fatiguée d’entendre « tu es noir, ton teint noir là aussi hein ».

Avoir un teint différent de celui qu’on avait au pays

-Ce sont des paroles qui blessent, pis, lorsqu’elles proviennent de notre communauté résidant en Europe. Et ce n’est pas tout, figures-toi que l’an dernier, lors de mon séjour au pays, toute ma famille n’arrêtait pas de me demander si j’étais vraiment en Europe. Pour la simple raison que mes copines benguistes avaient presque toutes un teint clair. En tout cas, un teint qui était loin de celui qu’elles avaient avant de quitter l’Afrique.

-J’ai tant bien que mal, essayé d’expliquer que ces personnes trouvaient comme prétexte le changement climatique pour se décaper la peau. L’objectif : montrer un changement aux yeux des personnes restées au pays. Moi j’ai besoin d’un autre produit en ce moment afin d’accélérer mon éclaircissement vu que le produit venu du pays a fait un bon effet sauf les plaies sur mon visage. J’ai la chance que dans ce marché, je peux trouver tous les produits éclaircissants du pays et même être conseillée par les vendeuses. Cette année, j’irai au pays, on verra « qui est qui ».

Catherine autrefois une fierté : « le chocolat noir »

J’étais abasourdi d’entendre Catherine une fille si belle et intellectuelle me sortir de tels arguments. Il y a deux ans, elle était enviée dans notre filière pour son teint noir cacao. Certaines blanches l’appelaient même affectueusement « le chocolat noir ». Pouvait-on imaginer qu’au lieu d’un compliment cela était reçut par Catherine comme un poignard ?

Elle n’avait pas tort. C’est dommage et triste lorsqu’on sait le nombre d’européens qui attentent la période de l’été pour se mettre une masse de crème et de s’adonner avec joie aux rayons du soleil juste pour un bronzage. Et pendant ce temps, les « détenteurs » de cette couleur naturelle la rejettent faute d’un manque de confiance en soi. Je décidai de laisser Catherine à la poursuite de ses huiles à vitesse d’éclaircissement en 24 heures pour mes provisions.

Lorsque j’arrivai chez ma sœur, je découvris une revue posée sur la table du salon. Je l’ouvris, et j’aperçu avec beaucoup de joie et d’émotion la célèbre actrice kenyane Lupita Nyong’o égéries de Lancôme. Je rendis, à cet instant, un hommage vibrant à tous ces hommes et ces femmes noirs d’ici et d’ailleurs, qui malgré tout, affirment avec fierté leur appartenance au continent africain à travers leur peau noire.


Quand deux benguistes se rencontrent au pays

Il était vingt-trois heures bien sonnées. Il était encore debout entre une multitude de vêtements à même le sol. Son body blanc fraichement sorti de chez Zara sur un jeans rouge. Le retour sur sa terre natale après plus de cinq ans en Europe devait choquer pour plaire.

Oui, Alex figurait désormais dans la grande cour des benguistes et cela malgré son sens d’humilité. Il s’octroyait une ligne de conduite à suivre parmi les siens. Le klaxon hallucinant du taxi qui devait le conduire à l’aéroport le sortit de sa rêverie. Il courut avec ses deux bagages enflés sans oublier ses deux gros paquets noirs de surplus. Les six heures de vols Paris – Abidjan lui parut une éternité.

Il égrenait son chapelet, dormait, lisait, écoutait de la musique mais le bruit assourdissant du moteur de l’avion lui tenait compagnie. Sa voisine jetait de temps en temps un coup d’œil en sa direction en lui offrant un petit sourire. Sourire qu’il interprétait comme un « yako mon frère tiens bon, tu n’es pas le seul fatigué par ce voyage ».

Le retour inédit d’Alex, le benguiste au pays

Il était enfin arrivé dans son Abidjan. L’ambiance était toujours pareille. Il se dirigea dans la longue file de passager et récupéra ses bagages et ses colis. Il chercha un miroir dans l’un des secteurs de l’aéroport afin de vérifier si ses vêtements n’étaient pas trop froissés. Alex aperçut sa mère, ses tantes bref tout le voisinage à l’aéroport.

Dieu merci qu’il avait pris la peine de masser sa poitrine auparavant. Sinon, sinon il se serait écroulé
face aux nombreuses personnes qui lui serraient avec vigueur. Il rappelait de temps en temps à ses parents de faire attention à ses valises. Il ne supporterait pas qu’on lui brise ses appareils dont celui à cuire le riz, à brosser ses dents, ses différents parfums payés en solde, son séchage de cheveux…

ce qu'il faut savoir avant de retourner au pays
Affiche film : « Le fils de Yaoundé », sorti le 08 Avril 2015 au Cameroun ( Réalisateur V. Kameni)

L’une des choses qu’Alex avait oubliées avant de venir, c’est que le monde évoluerait après son départ. Le quartier avait perdu sa gaieté d’autrefois. Une nouvelle génération s’exprimait, l’ancienne dont il faisait partie était composée soit d’amis mariés, mères ou pères d’une équipe de football, ou avaient quitté le quartier. Ce qui n’avait pas changé, c’était le taux de chômage.

Rencontre avec son ami Séraphin, deux benguistes dans la place

Le lendemain de son arrivée était dimanche. Un dimanche ensoleillé en sortant de la messe, une main ferma les yeux d’Alex juste au carrefour du quartier. Après quelques minutes d’hésitations, l’inconnu qui avait posé sa main se dévoila. Alex hurla comme un fou. C’était Séraphin, le fils du voisin à Paris. Quelle joie et quel bonheur de se retrouver ! Il se connaissait parfaitement puisqu’ils étaient à la fois dans le même quartier et dans la même faculté.

Séraphin lui annonça dans un accent à la française que cela faisait deux semaines qu’il était sur Abidjan. Et comme par coïncidence, il séjournait dans les environs. Alex avait désormais une nouvelle compagnie. Bonjour les causeries entre benguistes même en présence des amis locaux.

-« Hey mon frère l’attiéké de l’haoussa là me rappelle le jour où nous étions allés manger chez Margueritte derrière Saint Denis, tu t’en souviens non ? »
-« Oui, qui peut oublier ça, on a vraiment bien mangé ! ».
-« Tu te souviens aussi de la veste qu’avait portée Maryse non haha ? »
-« Oui, ça caillait fort ce jour-là »
-« Tu parles de froid ? dit plutôt qu’il neigeait abondamment. »

Bonjour les causeries entre benguistes autour de la France

Leurs amis qui n’avaient jamais emprunté l’avion n’arrêtaient pas de leur rappeler à l’ordre sous un air rêveur et gêné.

-« D’accord, on a compris les benguistes on sait que vous venez de l’autre côté. Mais pour l’instant ici c’est Abidjan hein ». C’était sans connaître les benguistes qui se retrouvèrent. Une fois dans un taxi communal en partance pour une fête, Séraphin s’adressa au chauffeur.

-« Monsieur, tu peux me passer le code wifi du taxi stp? »
-« Tu dis quoi mon frère ? », demandait le chauffeur dans un français approximatif.
-« Je dis, j’ai besoin de me connecter au wifi de ton taxi »
-« Je ne connais pas cela », répondit le chauffeur. Et voilà que ça repartait de plus belle avec Séraphin le benguiste.

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Taxi en pleine capitale ivoirienne – Abidjan. CC : Benjamin Yobouet

-« Mais l’Afrique est vachement en retard, mon frère Alex, tu te souviens du taxi que nous avions emprunté à Lille ? Le chauffeur au chapeau bleu dont à peine on entra, nous indiqua l’emplacement du code wifi. »
-« Oui, c’était fantastique mon frère, je ne voulais même plus descendre en plus bien climatisé en plein été. Les chauffeurs de taxis communaux d’Abidjan non seulement ils conduisent mal mais l’état des routes ne me donnent plus envie d’emprunter ces moyens de transports. »

Le chauffeur par curiosité leur demanda d’où ils venaient. C’était en chœur qu’ils lui répondirent « de France principalement, la capitale : Paris ». Le chauffeur tout comme leurs amis à côté les regardaient tous un peu exaspérés et frustrés à la fois. Le comble fut un soir lorsqu’un des amis abidjanais de Séraphin les invita à manger. En plein dîner, on entendit de nouveau Séraphin interpeller son ami benguiste.

-« Alex, tu te souviens de la fois où notre ami français Charles Lechat , nous invita pour le diner à Montpellier vers la place de la comédie »?
-« Oh là, Séraphin ne me fait pas vomir en pensant à cela, je suis trop rassasié ».
-« Je dis, les blancs même, ils ont de ces plats bizarres. Si ce n’est pas agneau saingnant sauté au caramel, c’est la viande de canard cru assaisonnée de poivre noir ». Et ils éclatèrent de rire.

Les conversations entre benguistes exaspèrent souvent leurs amis locaux à côté

Leur hôte et leurs amis sans rien comprendre à leurs conversations affichaient des mines défaites : gêne et colère se lisaient sur chaque visage.

-« Je dis les benguistes, vous ne pensez pas que vous exagérez un peu? Hein ? Vous êtes venus au pays pour passer du bon moment en oubliant les réalités de l’Europe ou pour nous narguer ? Hein ?  S’il vous plaît, laissez vos histoires de France-là un peu », lança un des amis un peu exaspéré.

Et tous les autres approuvèrent. Nos amis benguistes essayèrent de se calmer un peu mais pour combien de temps ? Une autre fois, en pleine messe de jeunes, Séraphin se plaignit de nouveau.

-« Je dis Alex, tu ne trouves pas les messes de cette paroisse longue ? »
-« Mes amis, je vous dis en France, les messes ne durent pas. Ici, c’est toute une journée franchement j’ai mal aux fesses hein. Vos prêtres parlent trop jusqu’à la fin, on oublie l’essentiel du message ». Alex, quant à lui appuyait les dires de son ami benguiste.

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En pleine messe dominicale – Paroisse St Laurent Yopougon-Kouté Abidjan. CC : Benjamin Yobouet

-« Séraphin, moi, c’est les homélies du prêtre sur la dîme et les annonces qui m’énervent. En Europe, les prêtres ne parlent jamais de cela, ici c’est tout le contraire. »
-« Tu vois, tu me rejoins, les africains même abusent dans « tout » ».
-« Séraphin, attention à tes dires ne nous mets pas en palabre avec Dieu, tu oublies que nous sommes en pleine messe »?

Leurs amis assis à côté tous médusés restaient là, à les observer sans rien dire. A la fin de la messe, deux charmantes filles qui partageaient le même banc avec qu’eux abordaient les benguistes.

-« Mes frères s’il vous plaît, d’où venez-vous si ce n’est pas trop indiscret ».

-« De Paris », répondirent-ils en choeur et à gorges déployées.


Benguiste, l’intégration passe aussi par la gastronomie

Il y a environ deux mois, un de mes amis, nouveau benguiste, me faisait cette remarque : « mon frère, ça fait plusieurs mois que je suis en France ici hein, mais je n’arrive pas à m’adapter à leur nourriture là ». Je vous assure que sa réponse m’a tout de suite fait éclater de rire. Eh oui, parce que cela m’a fait penser à mes premiers instants dans ce pays. Ah l’intégration ! Que c’est  difficile au début !

La gastronomie, voilà ce qu’il y a d’important dans la culture d’un peuple donné. Que serait le Cameroun sans son « Ndolé », hein ? Et la Côte d’Ivoire sans son « Garba » ? Et le Sénégal sans son traditionnel « Tchep bou djen » ? Un ivoirien peut-il se passer du fameux « Abolo » ou du « Gari » lorsqu’il séjourne au Togo ? Un malien pourrait-il échapper au « Lituma » ou au « Aboke » du Congo RDC lorsqu’il s’y trouve ? Assurément non !

Un benguiste doit s’adapter à la nourriture européenne

C’est la même chose lorsqu’il s’agit d’un africain benguiste qui débarque en France. On a beau adorer notre « attiéké » ou notre « gari », une chose est sûre, il faudra à un moment donné s’adapter à la gastronomie française, à la culture des autres. Surtout quand on sait que la bouffe africaine coûte très chère en Europe, particulièrement en France. Impossible donc de manger 365 jours sur 365 les plats de son pays d’origine.

Et puis, le bon sens ne voudrait-il pas qu’on s’ouvre un peu à la culture des autres ? Hein ? Quelles sont ces manières-là ? Devons-nous faire preuve d’égoïsme jusqu’à ce point ? Si l’on refuse de manger la nourriture des autres, qu’on ne se plaigne pas ensuite qu’ils ne bouffent pas aussi la nôtre !

Poissons thons frits, un accompagnement de l'attiéké prisé par les ivoiriens
Poissons thons frits, un accompagnement de l’attiéké prisé par les ivoiriens. CC : Benjamin Yobouet

Pendant mon séjour à Abidjan, l’été dernier, j’ai été à la fois surpris et heureux, lorsqu’un de mes amis français a mangé avec appétit notre « Alloco » et notre « attiéké ». C’est ce qu’on appelle le vrai partage, la découverte de l’autre, la diversité, la culture : une vraie richesse.

Pourtant, on pense souvent, à tort ou à raison, que l’intégration dans un pays se limite à l’adaptation à son système social, éducatif, économique, politique… Non, l’intégration passe aussi par la bouffe, par la gastronomie du pays dans lequel on vit.  Allez à Abidjan, vous verrez des sénégalais manier leurs mains avec dextérité pour manger le garba chaud du coin. Oui, cela est très important, surtout lorsqu’on décide d’y séjourner pendant une longue période.

De mon expérience gastronomique en tant que benguiste

C’est justement, ce que j’expliquais à mon ami, nouveau benguiste, qui avait du mal à s’adapter à la gastronomie française. Je lui ai dit :  » Cher ami, si tu es malin, commence à t’y habituer très rapidement. Ce n’est certes pas facile au début, mais tu finiras par t’y faire car il le faut ».

Puis, je commençais à lui raconter ma propre expérience à ce sujet. Il a fallu m’adapter aux repas froids, ces sandwichs glacés et souvent fades à mon goût. Et même quand l’hiver battait son plein, il fallait s’y faire. De toute façon, il n’y avait pas suffisamment de temps pour réchauffer les plats. C’est du tic au tac ici, tu le sais.

Il a fallu m’habituer au taboulé ! Ah ce met que je n’oublierais pas de sitôt. Je me rappelle que j’avais rejeté et faillir même rendre (vomir) la première fois que j’avais essayé de l’avaler à un grand déjeuner auquel j’étais convié. Le fromage ? Ah, voici un aliment qui ne manquera presque jamais à la table des français. Il y en a de tous les goûts et de toutes les saveurs.

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Le fromage camembert, très apprécié dans la gastraonomie française. CC : PDPhotos – @Pixabay

Très cher, fais toutefois attention. Crois-moi, je suis tombé pour la première fois sur un fromage qui dégageait une de ses odeurs avec un goût aigre qui m’a coupé toute suite l’appétit. J’ai fini par comprendre que c’était ça la particularité du fromage surtout du fromage fort. Parce que la vache qui rit de chez nous, n’est pas en réalité un fromage devant les français.

On finit par s’habituer et aimer les plats froids, le fromage, les pâtes…

C’est pourquoi, je t’exhorte à t’habituer au taboulé, au vrai fromage… Si ça ne passe pas toute suite, ne t’inquiète pas : ferme tes yeux, coupe ta respiration et avale d’un trait ! Aujourd’hui, tu ne me croiras pas : je suis devenu un grand mangeur de fromages forts, de taboulés aigres, de plats froids et souvent glacés…

Il faudra aussi adorer le café. Oui, le café bien serré sans sucre bien sûr. C’est l’un des chouchous des français, en tout cas moi, je l’adore maintenant. La Côte d’Ivoire, mon pays, n’est-il pas l’un des grands producteurs de café – et alors ?

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Le café, l’une des boissons chaudes les plus consommées en France. CC : fxxu – @Pixabay

N’oublie pas les pâtes alimentaires aussi, le couscous, le poulet, les frites, les burgers, les steaks, la sauce bolognaise…Tu en mangeras beaucoup et pratiquement tous les jours parce que accessibles et moins chers. Si tu aimes le vin comme moi, alors tant mieux, sache que tu seras servi.

Et puis, il y a aussi les tomates cerises et/ou fraîches que tu mangeras crues, les lasagnes, les ratatouilles, les cassoulets que tu dégusteras… pour ne citer que ceux-là. T’en fais pas, je sais que tu finiras par t’intégrer « gastronomiquement ». Allez bon courage mon cher benguiste. J’oubliais, j’attends ton compte rendu dans quelques mois.


Comment reconnaître un nouveau benguiste ?

Nous sommes tous passés par là. Oui tous ! Que ce soit dix, voire vingt ans en arrière ou juste quelques années…Cette toute première fois dans un pays européen pour un africain. Comme on le dit à Abidjan, la première fois à « bengué » (pour désigner la France) reste unique.

Je me rappelle le titre phare du groupe musicien ivoirien Magic Systeme : « un gaou à Paris ». Ce tube, si vous ne l’avez jamais écouté, retrace l’aventure atypique d’une personne débarquant pour la première fois en France. « Gaou », parce que le plus souvent naïf et plongé dans un monde nouveau que l’on découvre avec son corolaire de réalités.

https://www.youtube.com/watch?v=Ezz0FrEyNOU

Rencontre avec une nouvelle benguiste

Il y a quelques semaines, je me trouvais dans les locaux de la caisse d’allocation familiale (CAF). C’est le rituel. Chaque année, il faut renouveler son dossier d’aide au logement. J’étais donc assis, affaissé dans l’un des sièges de la salle d’attente.

J’avais le regard perdu dans les documents en vrac posés sur les pieds. Affamé, mais aussi épuisé, j’observais avec exaspération la longue file qui se tenait devant moi. Il y avait du monde, il faut le dire. Un monde composé majoritairement par des étudiants de toutes nationalités.

C’est dans cette ambiance mêlée de bousculades et de va-et-vient que mes yeux tombèrent sur une jeune africaine. Elle avait une attitude bien particulière. Laquelle attitude attira très vite mon attention. Elle saluait tout le monde, souriait avec tout le monde. Elle scrutait tous les recoins des locaux.

Ses documents étaient bien rangés et ordonnés dans un classeur tout neuf. Elle consultait à chaque instant la notice des pièces à fournir ; sûrement pour se rassurer que rien ne manquait…Au fil du temps, j’ai fini par comprendre…Il n’y avait pas de doute : c’était une nouvelle benguiste ! A ce moment précis, avec un sourire en coin, je me rappelai de mes premiers instants en France.

Les signes pour reconnaître les nouveaux benguistes

En effet, il y a des signes qui ne trompent pas surtout quand il s’agit de reconnaître un nouveau benguiste. Le cas de cette jeune africaine en est une belle illustration. Épluchons ensemble donc quelques signes pour les reconnaître. Les nouveaux benguistes affichent la plupart du temps des mines toujours souriantes, parce que contents d’être là. Contents d’avoir pu surmonter toutes ces procédures et ces paperasses qu’impose la traversée de l’atlantique.

aeroport bruxelles arrivee nouveau benguiste

Les africains qui débarquent la première fois en France, ne courent généralement pas après le bus ou le métro…Parce qu’en réalité, ils n’ont pas encore connu la galère et le vrai stress de la France.

Ça fait des courses par-ci et du shopping par là. Ça mange beaucoup dans les restos ou Fast Foods. Ça appelle régulièrement au pays pour faire bonne impression ou pour dompter la nostalgie….Toute ceci, tant que le budget avec lequel, ils ont débarqué en France le permet.

Publier régulièrement leurs photos sur les réseaux sociaux

Les nouveaux benguistes, c’est également ceux qui, au début, publient à fréquence répétée photos et vidéos sur les réseaux sociaux. Des images dans tels lieux ou devant tels sites touristiques pour le « m’a-tu-vu ». Pauvres amis, connaissances et parents au pays !

Au supermarché et dans les magasins, les nouveaux benguistes réfléchissent beaucoup trop souvent avant de faire un achat. Aussi paradoxalement que cela puisse paraître, les voilà, calculatrice à la main, à convertir les prix d’articles dans leurs monnaies d’origine. C’est eux qui compareront toujours les prix par rapport au pays ; du genre « ça au pays ça coûterait ceci ou cela… La France est chère hein… ».

Dans les transports en commun, lorsqu’on les piétine juste un peu, c’est eux qui s’excuseront les premiers. Et lorsque l’hiver arrive, ils sont parfois très enchantés parce qu’ils vont enfin se doubler voire se tripler.

Ils vont enfiler au cou de belles écharpes, porter des gants épais, de jolis manteaux, un magnifique bonnet…bref tous les accessoires digne d’un nouveau benguiste. Et bonjour les photos sur les réseaux sociaux.

Mais au final, on pourrait se demander quels sont les signes pour reconnaître les anciens benguistes ? Ben, c’est peut-être parce qu’ils savent reconnaître tout simplement les nouveaux 🙂 !


Les 10 commandements du benguiste

Il y a quelques mois, je vous parlais de sept réalités qui rendent les benguistes chocos. Et si, aujourd’hui, on parlait plutôt de dix commandements que doit respecter un benguiste ? J’ai relevé, en effet, dix principes à observer, basés sur des expériences vécues ici et là. Ouvrez donc bien vos bibles  pardon, vos yeux pour lire 🙂

1- Cher (e) benguiste, tu te trouveras un boulot

C’est le tout premier commandement à ne pas négliger. Et là, il s’adresse particulièrement au benguiste qui ne bénéficie pas de bourse ou d’aide. Si tu veux véritablement être indépendant dans un pays où le niveau de vie est élevé. Il n’y a pas dix milles solutions, tu devras te trouver impérativement et rapidement un job.

Parce que tu ne vas quand même pas rester à la charge de tes parents au pays (le loyer en France peut être le salaire d’un parent), d’un membre de ta famille en France ou d’un tuteur pour toujours !? Non ! Même si c’est ton “propre” frère ou une personne très proche et gentille, celle-ci s’en lassera un de ces jour. Et plus tard, te rendras compte, qu’il faudra te prendre en charge. Parce qu’en réalité, les charges en France sont énormes pour tous !

Sur la question, j’ai rigolé une fois lorsqu’un ami au pays m’a dit “ Benjamin, si je viens en France, mon oncle me prendra totalement en charge pendant mes années d’études”. Et je lui ai répondu avec un sourire en coin “oui, c’est bien mais pour combien de temps”? Pour être à l’abri de toutes surprises désagréables, il faudra se trouver un job pour aussi, pourquoi pas, avoir une vie sociale épanouie (aller au ciné, au resto, faire du shopping, voyager…).

2- Tu planifieras tout à l’avance et resteras fixer à ton objectif

Planifier tout à l’avance, voici la clé de la maîtrise du système français et de la vie en général. Il faut toujours préparer minutieusement tout et prévoir dès que possible des plans de secours (plan B, C, D…).

Ici, c’est une société où l’on prévoit tout, où l’on planifie tout, où l’on programme tout. Parce que je l’ai dit, cher (e) benguiste, dans un autre billet, en France, il faut prendre rendez-vous pour tout !

 planifier toute chose, un commandement important pour le benguist

Rien ne se fait à la hâte ou à la dernière minute. L’imprévisible devient quelquefois prévisible. Tu veux un job en été ? Commences à le chercher en hiver. Tu veux changer ou étudier dans un autre établissement ? Commence par entamer la procédure dès le début du second semestre en cours. Tu veux voyager ou aller en vacances ? Commence à réserver ton billet pendant la rentrée ou quelques mois plutôt.

Tu veux avoir un enfant ? Réserve une place en crèche avant de concevoir le bébé et penses à son prénom… En débarquant en France, chacun de nous avait un objectif à atteindre. Le terrain fait changer d’avis. Néanmoins, il faut, en planifiant les choses, se donner les moyens nécessaire afin de l’atteindre.

3- Tu n’oublieras pas ton « coucou » annuel ou pluriannuel à la préfecture

Ah, la préfecture, lieu par excellence de tout benguiste en France ! L’un des lieux les plus visités. Qui est-ce qui vous a dit que c’était la Tour Eiffel ? La préfecture vaut mille fois mieux que la tour Eiffel, que la Défense, que les Champs-Elysées, etc. pour un benguiste.

Alors, il ne faut pas oublier de faire un tour à la préfecture pour le renouvellement du titre de séjour. Certains, chaque année, d’autres sur plusieurs années… En effet, la nouvelle loi sur les titres de séjours pluriannuels permet notamment d’alléger les démarches en préfecture en fonction du statut ou des années d’études.

4- Tu éviteras toutes sortes de contraventions ou amendes

Je me souviens un de ces matins, lorsque dans le train, je me rendais au boulot. Des contrôleurs de la SNCF (transport ferroviaire en France) avaient « collé » une contravention à mon voisin. Pourquoi ? Parce qu’il n’avait pas de titre de transport. Ce jour-là, il a payé plus de 150 euros d’amende sur place. Alors que le prix du billet avoisinait seulement les 16 euros.

 des controleurs de la SNCF donnant une contravention à un benguiste
Des contrôleurs de la SNCF donnant une contravention à un benguiste

S’il y a donc une chose à éviter en France, c’est bien les contraventions ou les amendes. Parce que si jamais tu fais un excès de vitesse par exemple ou si tu passes un feu rouge tricolore, le méchant radar te flashera. Et bien sûr, dans quelques jours, tu recevras chez toi une amende salée.

Le pire dans tout ça, c’est qu’il faudra payer obligatoirement ces amendes. Parce qu’elle te rattrapera à coup sûr un jour. Soit à la préfecture lorsque tu demanderas la nationalité, soit un débit forcé sur ton compte bancaire, un de ces jours. Même dans 20 ans, sois-en sûr, ta facture t’attendra avec des additions… Car plus ça dure, plus, il y aura des frais en surplus.

5- Tu ne dépasseras point ton découvert bancaire

Le découvert, c’est lorsque ta banque te permet de dépenser plus que ce que tu as sur le compte en réalité. Elle acceptera de payer un chèque, un prélèvement sans que tu aies suffisamment d’argent sur ton compte.

Et cela, en fonction du montant autorisé selon les profils (étudiant, salarié…) ou les moyens de chacun. On peut passer de 100 à 2000 euros et plus. Évidemment, un tel système est avantageux dans la mesure où il permet de pallier plusieurs difficultés ou dépenses inopinées.

C’est la raison pour laquelle, plus de la moitié des personnes en France a un découvert. Mais attention à ne pas dépasser ce découvert autorisé. Parce que, très cher(e) benguiste, si tu le dépasses des frais importants s’ajouteront allant jusqu’à la fermeture du compte voire à l’interdit bancaire en fonction des banques.

Quoi qu’on dise, le découvert reste une démarche de crédit bancaire. Et qui dit crédit dit dette, dit remboursement : un remboursement qui devra s’effectuer dans un délai limité. Le découvert devra être utilisé à bon escient.

6- Tu accorderas une attention particulière aux états de lieux

Il s’agit d’un constat écrit établi en présence d’un bailleur et d’un locataire à l’entrée et à la sortie d’un logement. La particularité en France, c’est qu’on n’ aménage pas ou on ne déménage pas comme dans ma Côte d’Ivoire natale. À Abidjan par exemple, lorsqu’on aménage, il faut soit même tout apporter, tout nettoyer dans un logement vide et souvent laissé en vrac par le précédent locataire.

Ici, les logements sont généralement meublés. Il faudra juste apporter ses affaires personnelles. Parce qu’il y aura déjà presque tout dans un logement propre et bien aménagé. Tu l’as bien compris, le bailleur et le nouveau locataire passeront en revue, dans les moindres détails, tous les éléments qui composent le logement avant la remise des clés. S’il y a six verres, 12 fourchettes ou que le tapis est neuf… le bailleur le notera. Il notera tout !

 fiche etat des lieux logement etudiant d'un benguiste
Fiche etat des lieux logement etudiant d’un benguiste

Le présent contrat sera contresigné par les deux parties. Il faudra alors qu’à la sortie (déménagement) après des mois ou des années, que le logement soit net et irréprochable comme à l’entrée. C’est là que commenceront les polémiques entre les deux parties. Le bailleur taxeras cher toutes anomalies. Il te dira, par exemple :  » À votre entrée, le tapis était rouge pourquoi est-il devenu vert ? Ça vous fera 50 euros… »

Et ainsi de suite, jusqu’à ce que ta caution soit totalement débitée. Si tu as la chance, le bailleur te remettra un chèque de 35 euros sur 450 euros de caution comme un des mes amis. Parce que d’autres t’obligeront, en plus de la caution, à ajouter des frais. Et les agences de logement dans tout ça ? N’en parlons pas, elles sont pires !

7- Tu liras et tiendras compte de tous tes contrats

La plupart des contrats que ce soit en France ou ailleurs cache des non-dits. C’est pourquoi, cher (e) benguiste, tu devras lire minutieusement tout contrat avant de l’accepter ou de le signer. C’est vrai, les contrats sont le plus souvent écrits en minuscules et très longs (plusieurs pages). Cela pourrait te décourager à les lire complètement et c’est ça le gros piège !

Pour un contrat d’assurance, de maison, de téléphonie mobile ou de travail…, il faudrait par exemple savoir ce qui se passera en cas de rupture. Y’a t-il un engagement particulier à respecter ? Le contrat peut-il prendre fin à tout moment sans dommages ou intérêts ? Quels sont les avantages et inconvénients ? Cela vaut la peine pour éviter tout désagrément à l’avenir.

8- Tu n’encaisseras aucune somme qui ne t’es pas due

Elle était toute heureuse et toute joyeuse. Qui ? Une amie benguiste qui avait reçu un virement bancaire de la CAF (aide sociale en France) alors qu’elle n’avait plus droit. « Benjamin, j’ai eu l’argent cadeau », m’a-t-elle lancé un soir ! J’ai souri avant de lui demander « ma chère est-ce que les cadeaux, ça existe ici en France » ? Quelques semaines plus tard, bonheur et joie se sont transformés en angoisse et tristesse. Parce qu’elle avait une dette inopinée à éponger !

Ça arrive ! Oui ça arrive qu’on puisse recevoir un virement sur son compte bancaire un bon matin. Alors qu’en âme et en conscience, on sait bien que cela ne nous est pas destiné. Attention, dans ce cas, à ne pas sauter vite de joie au risque de se retrouver avec les dents serrés plus tard. Sinon, comme on le dit à Abidjan, qui n’aime pas cadeau ? Mais surtout pas un cadeau empoisonné !

9- Tu feras ta déclaration aux impôts

Même si tu n’es pas salarié, il est important de faire ta déclaration aux impôts. Le faire, c’est déclarer que l’on a rien justement et donc justifier qu’on est non imposable. Cela pour ne pas se faire emmerder plus tard.

Je me suis rendu une fois à la CAF,  une des conseillères m’a réclamé une déclaration d’impôts. Je suis allé à sécurité sociale pour une demande de couverture maladie universelle. Même son de cloche. On voit à la fin que faire une déclaration aux impôts permet d’éviter beaucoup de tracasseries administratives pour un benguiste.

10 – Tu limiteras transferts, cadeaux et appels au pays

Limiter ne veut pas dire ne pas faire mais plutôt le faire dans une limite raisonnable. Quoi de plus normal que d’appeler, faire des transferts d’argent ou offrir des cadeaux à ses parents et connaissances au pays. Le piège ici, c’est que, cher (e) benguiste, plus tu le fais, plus on croira au pays que t’es devenu riche. On croira que tu as remporté la cagnotte de l’année en France. Et les commandes fuseront de partout, à tout moment.

Pourtant, Dieu seul sait combien tu auras trimé ou souffert pour avoir cet argent pour le leur envoyer. Eux, ils ne chercheront pas à comprendre. Même si c’était toi tu aurais fait la même chose. Pour les appels, il faudra se prendre une puce spéciale internationale (cinq euros, la recharge minimale) et non son forfait mobile normal avant d’émettre un appel au pays. Cela, pour éviter des factures salées comme cet ami qui avait pris goût à appeler au pays à tout moment et sur longue durée. Il a compris, plus tard, en recevant sa facture de 200 euros.